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Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou : « Notre danse est un appel à la vigilance »

ENTRETIEN. Nés en Tunisie et installés à Lyon depuis 2005, les danseurs et chorégraphes Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou pointent dans « Narcose » l’asphyxie sociale et politique qu’ils observent des deux côtés de la Méditerranée.

La danse, pour Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou, est un art qui se nourrit d’expériences diverses et d’observation. Autrement dit, de temps. Trois ans ont en effet passé depuis la création de Sacré printemps ! (2014) qui, trois ans après les révolutions arabes, interrogeait l’effet de ces événements sur les corps et sur les manières d’être ensemble. Avec Narcose, les deux artistes poursuivent leur réflexion sur la difficile transition démocratique en cours dans leur pays d’origine à travers une métaphore : celle de l’état traversé par les plongeurs lorsque leur cerveau vient à manquer d’oxygène, dont le nom donne son titre à la pièce.

Créée en janvier 2017 à Bonlieu, scène nationale d’Annecy, puis reprise lors des Francophonies en Limousin dans le cadre d’un focus dédié à la création tunisienne, cette dernière est aussi une mise en garde contre les pouvoirs de l’image et contre les dangers du repli sur soi en période de montée des extrémismes. Déjà présents dans Sacré printemps !, comme dans la plupart des spectacles du duo depuis la fondation de sa compagnie Chatha en 2005, Stéphanie Pignon, Johanna Mandonnet et Gregory Alliot s’y livrent dans ce but à une partition d’autant plus exigeante qu’elle et basée sur la remise en cause d’un axe fondamental de leur discipline : la respiration.

Narcose s’ouvre sur une succession de traversées. Sur trois lignes parallèles, les interprètes évoluent à coups de spasmes et de sursauts. Chacun avec ses tics et sa souplesse personnels. Avec son rapport à la musique lancinante composée par le DJ tunisien Haythem Achour et aux lumières tranchantes de Xavier Lazarini. Si dans Sacré printemps ! les corps peinaient déjà à se rencontrer, ils sont ici tout à fait isolés. Du moins jusqu’à ce que Johanna Mandonnet marque un arrêt qui semble annoncer un nouveau souffle. Une reconnexion du corps avec l’esprit. Faux espoir. Au lieu de cela, les danseurs se livrent à une suite de très courtes scènes de violence. À des flashes qui ne laissent aucun doute sur la nature des préoccupations des chorégraphes. Sur leur engagement. Les deux danseurs se sont confiés au Point Afrique sur leur engagement et le processus de création derrière Narcose.

Le Point Afrique : Sans faire l’apologie de la révolution, vous exprimiez dans Sacré printemps !, votre précédente création, le difficile apprentissage de la liberté après la chute de Ben Ali. Construit sur la métaphore du corps en manque d’oxygène, Narcose est-elle une pièce de la désillusion ?

Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou : Si tous les espoirs qu’elle a suscités ne se sont pas concrétisés, loin de là, la révolution a profondément rebattu les cartes pour la société tunisienne. Traiter de la violence qui la traverse n’est pas pour nous signe de désillusion, mais de résistance. D’alerte contre les tentatives de manipulation dont le peuple tunisien est l’objet, surtout depuis l’arrivée d’Ennahda au pouvoir. Notre danse est un appel à la vigilance et au questionnement. Comme dans Sacré printemps !, elle nous permet d’amplifier ce que nous percevons de l’ère du temps, qui comme chacun le sait est loin d’être au beau fixe. Le nivellement de la culture par le bas, l’arrogance qui se généralise, le remplacement des anciens mafieux par de nouveaux… Tout cela ne nous réjouit pas, c’est certain, mais nous ne voulons pas rajouter du désenchantement à un quotidien déjà difficile.

 

La narcose, cet état physique du plongeur qui donne son titre à votre création, n’est donc pas pour vous un état entièrement négatif ?

C’est un état paradoxal. Si l’apnée génère une forme de souffrance et de dépression, cet état crée aussi une excitation particulière que le plongeur cherche à retrouver. C’est ce que nous avons voulu montrer dans Narcose, car il nous semble que la complexité de cet état de corps correspond à celle du monde actuel en général. Notamment de la société tunisienne, dont nous nous sentons très proches, même si notre compagnie Chatha est basée à Lyon.

 

Cet état paradoxal semble générer une grande solitude…

Après une pièce de groupe, où nous partagions la scène avec cinq autres danseurs, nous avons eu envie de nous centrer à nouveau sur l’individu. Nous aimons alterner grandes formes et formes plus modestes, afin de nourrir notre vision du groupe de détails observés à l’échelle d’un nombre réduit de personnes. Notre duo Toi et moi (2013) était par exemple une cellule de Sacré printemps !, tout comme Narcose le sera de Ces gens-là, notre prochaine création sur laquelle nous commençons déjà à travailler. Nous pensons également qu’après la révolution où la parole s’est beaucoup déployée dans l’espace public, avec à la clé une certaine déception, les artistes ont besoin de se recentrer. De réintégrer les théâtres qu’ils avaient provisoirement un peu délaissés au profit de la rue et parfois de l’étranger, la scène internationale ayant capté certains jeunes talents après 2011.

 

Le contraste saisissant entre les deux parties de Narcose peut évoquer une forme de schizophrénie. Est-ce là votre constat, concernant la société tunisienne et/ou française ?

Dans la seconde partie du spectacle, on passe dans le règne de la représentation. Grâce à des témoignages de personnes sorties du coma, nous savons que lorsqu’il manque d’oxygène, le cerveau va chercher des images. C’est ce que nous avons voulu montrer, tout en critiquant le règne de l’image qui nous coupe de la réalité et nous manipule. En Tunisie comme en France depuis quelques années, nous observons un retour de la morale qui se manifeste de manière inquiétante dans la création. Cela notamment à travers des images-chocs, comme celles des manifestations intégristes contre Roméo Castellucci à Paris en 2011.

 

Alors que dans la plupart de vos pièces précédentes, la présence d’objets sur le plateau – des silhouettes bichrome dans Sacré printemps ! par exemple, en hommage au dessinateur Bilal Berreni alias Zoo Project, qui s’est fait connaître avec ses portraits grandeur nature de victimes de la révolution tunisienne avant de trouver la mort en 2013 à l’âge de 23 ans – ancrait votre propos dans une culture précise, la scénographie très minimaliste de Narcose ne donne aucune indication à ce sujet. Pourquoi ?

Nous avons beaucoup tourné avec Sacré printemps !, et nous voulions éviter d’être associés à ce sujet qui a suscité de nombreux spectacles, dont beaucoup ont été créées dans l’urgence. Avec des résultats esthétiques variables. Souvent assez faibles, mais programmés ici et là du fait d’une sorte d’exotisme révolutionnaire. C’est pour cette raison déjà que nous avons attendu trois ans avant d’en faire le sujet d’une pièce. Pour la même raison, nous avons voulu éviter d’ancrer clairement notre création suivante dans un contexte tunisien. Ce qui nous permet aussi de donner à notre réflexion une portée plus large.

 

Stéphanie Pignon, Johanna Mandonnet et Grégory Alliot, les trois interprètes de la pièce, se sentaient-ils concernés par le malaise social que vous décrivez ?

Nous ne les avons en effet pas choisis par hasard. Comme avec tous les artistes qui nous accompagnent depuis seize ans, nous partageons avec ces danseurs davantage qu’un travail chorégraphique. Pour ce projet plus encore que pour les précédents, nous avons longuement échangé avec eux sur les sujets qui nous préoccupent afin d’orienter nos recherches sur le corps. Plutôt que de tenter une reproduction de l’apnée pratiquée par les plongeurs, sur laquelle nous nous sommes beaucoup documentés, nous nous sommes questionnés sur ce qui pourrait amener les interprètes à cet état. Chacun ayant une vision particulière du malaise social que nous traversons, nous avons développé ensemble trois partitions différentes basées sur l’idée de « faire avec ». « Faire avec » la menace terroriste qui fait désormais partie de notre quotidien par exemple, et avec les nouvelles formes de violence apparues ces dernières années.

 

Comment le DJ tunisien Haythem Achour a-t-il participé à ce processus de création ?

Il a suivi l’ensemble du processus, composant la musique du spectacle au fur et à mesure que l’on écrivait la partition chorégraphique. Mais avant cela, nous l’avons invité à une résidence en Allemagne. Fondateur du Plug, lieu phare de la scène musicale underground tunisienne, il avait besoin de sortir de Tunisie pour créer autre chose. Comme nous, lorsque nous y vivions, il a vécu de plein fouet l’asphyxie et l’effervescence dont traite Narcose, et nous voulions qu’il en témoigne par sa musique. Expérience qui n’a pas été sans douleur pour lui, cette époque étant encore très présente dans sa mémoire.

 

Vous travaillez régulièrement avec de jeunes artistes de la scène tunisienne. Lors de la dernière édition des Francophonies en Limousin par exemple, vous avez aidé à la construction de la partie tunisienne de la programmation…

Faisant partie des pionniers de la danse contemporaine en Tunisie, nous nous sentons une responsabilité vis-à-vis des nouvelles générations. Les jeunes danseurs et chorégraphes tunisiens ont beau avoir davantage de possibilités qu’à l’époque où nous avons commencé notre carrière, leurs parcours sont loin d’être simples. Malgré l’existence d’un festival à Tunis et d’une ouverture à l’étranger, de nombreux progrès restent à faire. Si on observe une spécialisation des métiers de la scène par exemple, la réflexion concernant la professionnalisation est très insuffisante. Comme tous les arts en Tunisie, la danse est aussi largement structurée par l’agenda des festivals et autres événements. Il faudrait aller vers un travail permanent. Comme une démocratie, cela ne se fait pas en un jour ni en un an, mais nous sommes confiants.

Propos recueillis par Anaïs Heluin

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