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Danse – Mariem Guellouz : « En Tunisie comme ailleurs, le corps a une mémoire »

ENTRETIEN. Avec 40 spectacles au programme, des conférences et workshops, la première édition de Carthage Dance–Journées chorégraphiques de Carthage questionne avec force les liens entre danse et politique. Rencontre avec sa directrice Mariem Guellouz.

 

Fruit d’une rencontre entre le chorégraphe sud-africain Gregory Maqoma et la compagnie Via Kathleong, engagée dans son pays dans un combat en faveur de la jeunesse des quartiers pauvres, le spectacle Via kanana a donné la couleur des nouvelles Journées chorégraphiques de Carthage. Le 26 juin 2018, dans la salle d’opéra de 1 800 places de la Cité de la culture ouverte à Tunis en mars dernier, l’esprit de révolte de la culture pantsula, née dans années 1960-1970 dans les townships d’une Afrique du Sud en plein régime d’apartheid, a en effet ouvert une programmation ambitieuse. Tournée vers des créations qui interrogent le lien entre corps dansant et corps social, sans hésiter à critiquer les politiques en place.

Dans son bref et incisif discours d’inauguration, Mariem Guellouz, la directrice du festival, n’a pas manqué de rappeler que le 26 juin était aussi la Journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture. Sous-entendant que celle-ci ne s’est pas arrêtée en Tunisie avec la chute de Ben Ali, le 24 janvier 2011. Porté par le ministère des Affaires culturelles et par l’Établissement national de la promotion des festivals, c’est pour elle un espace d’expression du malaise autant que de l’espoir de la société civile tunisienne. Un lieu non seulement de présentation de la richesse artistique tunisienne et internationale, mais aussi de réflexion politique. De débat et de révolte.

Chercheuse en anthropologie culturelle et maître de conférences en sciences du langage à l’université Paris-Descartes, et également danseuse, elle a en effet construit avec son équipe une belle programmation de 40 spectacles, de tables rondes, conférences, workshops et projections. Cela en partenariat avec plusieurs lieux de création de la capitale. Résultat : un festival riche en découvertes et en questionnements, qui augure le meilleur pour le développement de la danse contemporaine en Tunisie et pour sa reconnaissance à l’international.

 

Le Point Afrique : Carthage Dance est votre première expérience en tant que directrice de festival. Pourquoi avoir voulu prendre en charge cette fonction ?

Mariem Guellouz : Lorsque le ministère des Affaires culturelles m’a proposé cette nomination, j’ai longtemps hésité. J’ai beau venir très souvent en Tunisie, je n’y vis pas, et j’exerce un autre métier : celui de chercheuse. Accepter cette mission supposait aussi de sacrifier ma pratique personnelle de la danse, de renoncer à participer aux spectacles de ma compagnie. Mais je suis contre la politique des chaises vides, et espère pouvoir avec ma formidable équipe apporter quelque chose au paysage de la danse contemporaine tunisienne. Accepter cette place relève pour moi du positionnement éthique. Je m’y consacre avec d’autant plus de rigueur que la création de ces Journées chorégraphiques de Carthage répond à un désir ancien de la part de nombreux danseurs et chorégraphes tunisiens.

 

Il existait pourtant d’autres festivals de danse contemporaine. Notamment les Rencontres chorégraphiques de Carthage, créé et dirigé par la danseuse et chorégraphe Syhem Belkhodja…

Bien sûr, et je ne nie pas qu’ils aient joué et jouent encore un rôle majeur dans le développement de la création chorégraphique tunisienne. Mais il s’agit de festivals privés, et il était selon moi important que l’État s’engage dans ce domaine. Le cinéma, le théâtre et la musique ont depuis longtemps leur festival d’État ; la danse restait de côté. Le fait que le gouvernement trace aujourd’hui une ligne budgétaire – ne serait-ce minime – et une politique culturelle pour la danse est un symbole très fort : celui de la reconnaissance d’un art longtemps marginalisé en Tunisie. C’est à mon avis la condition sine qua non d’une sortie de la précarité pour les danseurs et chorégraphes tunisiens.

 

Une des particularités de Carthage Dance est la place accordée à la recherche et au débat. Pourquoi ce choix ?

De par mon métier, bien sûr, et parce que la connaissance de l’histoire et des différentes tendances actuelles de la danse contemporaine est essentielle au développement d’un paysage chorégraphique riche et singulier. C’est pourquoi je me suis entourée pour l’organisation du festival d’une équipe composée de chercheuses – nous sommes essentiellement des femmes –, d’artistes et de programmateurs.

 

Lors d’une table ronde consacrée aux regards contemporains sur les danses arabo-berbères, vous avez soulevé l’importance de la nomination des danses arabes. Pouvez-vous préciser ?

Beaucoup plus que les autres, les artistes arabes sont souvent victimes d’une assignation à leurs origines, au détriment de l’artistique. Qui aurait l’idée de désigner Pina Bausch comme une chorégraphe allemande et chrétienne ? Pour la liberté de création des artistes et pour leur permettre un meilleur accès à l’institution, il faut que cela change. Ce qui nécessite à mon avis un travail collaboratif, impliquant les différents profils que j’ai tenu à réunir au sein de mon équipe.

 

Pour la partie tunisienne de votre programmation, comment travaillez-vous au repérage des jeunes artistes ? Ont-ils des espaces pour s’exprimer ?

Il existe de nombreux lieux où découvrir la jeune création. Nous les suivons de près, car il est important que le festival donne à offrir le panorama le plus large possible de la danse contemporaine tunisienne. Engagés de longue date dans la production et le soutien des artistes tunisiens, le théâtre El Hamra, Le Rio et El Teatro sont déjà nos partenaires pour cette première édition. Mais il en existe d’autres, ainsi que des festivals – Dream city par exemple, festival d’art en espace public dans la médina de Tunis, ou Hors-Lits créé par le chorégraphe Selim Ben Safia – avec lesquels nous souhaitons nous associer.

 

Vous avez aussi mis à l’honneur les pionniers de la danse contemporaine tunisienne.

Il est important pour moi de faire des Journées chorégraphiques de Carthage le lieu de tous les danseurs contemporains de Tunisie, toutes générations confondues. Aux côtés de jeunes artistes comme Amel Laouini, Tarek Bouzid ou encore Houssem Eddine Achouri, dont certains montraient leur travail pour la première fois, on a ainsi retrouvé des personnes comme Nawel Skandrani, Imed Jemaa, Syhem Belkhodja et Malek Sebai. Ainsi que des danseurs de la troisième génération, tels que Rochdi Belgasmi, Amira Chebli, Cyrine Dous ou Oumaima Manai.

 

Quels ont été vos critères de sélection de ces artistes, ainsi que des artistes internationaux de votre programmation ?

J’ai voulu mettre en avant les artistes qui questionnent la place du corps dans la société. En particulier, celle du corps marginalisé : celui de la femme, de l’homosexuel ou encore du migrant. Utiliser l’argent public pour programmer des spectacles est une responsabilité que j’ai voulu assumer en questionnant les problèmes majeurs de notre époque. En rappelant qu’en Tunisie comme ailleurs, le corps a une mémoire, et qu’il ne faut pas l’occulter, même si elle n’est pas très joyeuse. Si elle marquée par la torture et par toutes sortes de violences. Sans aborder ces questions, je ne vois pas comment développer un concept du corps dansant en Tunisie. Nombreux sont d’ailleurs les artistes tunisiens à travailler sur ces sujets. Rochdi Belgasmi par exemple, en cherchant à réactiver la mémoire de danses traditionnelles oubliées ou en passe de le devenir. Amira Chebli en travaillant à partir de la parole de femmes militantes, Nawel Skandrani sur la frustration féminine, Cyrine Dous sur le malaise identitaire lié à l’entre-deux cultures…

 

Parmi les artistes étrangers invités, nombreux sont ceux qui viennent du reste de l’Afrique. Pourquoi ce choix ?

Les artistes tunisiens connaissent souvent moins bien leurs confrères algériens, marocains et Africains qu’Européens. Or ils partagent des problématiques communes, qu’il me semble intéressant de mettre en avant. De plus, la Tunisie offre un précieux espace de liberté pour les artistes. Le danseur et performeur libanais Alexandre Paulikevitch, spécialiste du « baladi » – nom égyptien de la danse du ventre – a par exemple pu présenter pour la première fois son travail au Maghreb, ce dont je suis très heureuse. De même que d’avoir pu faire découvrir au public tunisien le travail de l’artiste rwandaise Dorothée Munyaneza, dont le spectacle Samedi détente aborde la question du corps féminin en contexte de génocide, celui de la danseuse et chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré et de l’Égyptienne Laila Soliman. Ces trois artistes interrogent la place de la femme dans la société de manières subtiles et passionnantes.

 

Propos recueillis par Anaïs Heluin

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