Tunisie : la danse contemporaine tous azimuts
REPORTAGE. Mis à l’honneur lors du deuxième festival Carthage Dance à Tunis, nombre d’artistes ont montré leur volonté d’œuvrer au meilleur rayonnement de leur discipline au niveau national et international.
Parmi les 35 spectacles présentés lors de la seconde édition du festival Carthage Dance, qui s’est déroulé du 14 au 20 juin 2019 à Tunis, Jil est celui qui résume le mieux l’état de la danse contemporaine en Tunisie. Deuxième création du Nouveau Ballet de danse tunisienne né en 2018, cette pièce, portée par 13 jeunes interprètes issus d’autant de régions différentes de Tunisie, témoigne en effet du potentiel de la jeunesse locale en matière de danse contemporaine. Elle dit son ouverture, sa curiosité pour une pratique artistique encore peu ancrée en Tunisie. Pour une discipline qui, contrairement au cinéma, au théâtre et à la musique, n’avait jusqu’en 2018 pas de festival public. Pour une discipline en développement, malgré des difficultés multiples.
Une dynamique émergente
Fondé la même année que le festival, dans le cadre des activités du pôle ballets et arts chorégraphiques du théâtre de l’Opéra – donc sous la tutelle du ministère des Affaires culturelles –, ce ballet participe de la même dynamique que lui. À savoir la naissance d’une politique culturelle pour la danse contemporaine. Le début d’une reconnaissance qui doit beaucoup à des initiatives privées. À des expériences singulières, où la danse ne va pas sans l’invention de manières originales de s’adresser à un public encore peu nombreux et concentré dans la capitale, dotée depuis l’an dernier de l’immense Cité de la culture où s’est déroulée la cérémonie d’ouverture de Carthage Dance. Où s’est joué ensuite Queen Blood, du chorégraphe français d’origine sénégalaise Ousmane Sy, porté par onze danseuses de hip-hop.
Aux interprètes du Nouveau Ballet de danse tunisienne, tous de formation hip-hop, comme à bon nombre de jeunes danseurs tunisiens, ce spectacle d’ouverture a bien des choses à dire. Ne serait-ce que prouver la légitimité des danses urbaines sur les scènes contemporaines. En effet, « si le hip-hop compte de nombreux adeptes en Tunisie, il est très peu présent sur la scène professionnelle », observe le danseur et chorégraphe franco-tunisien Selim Ben Safia, dont Chawchra était l’une des 15 pièces tunisiennes au programme de Carthage Dance. Lui-même formé à la danse hip-hop au Sybel Ballet Théâtre de Tunis, avant d’intégrer le Centre chorégraphique méditerranéen fondé en 2009 par Imed Jemaâ, qui signe la chorégraphie de Jil – on fait rapidement le tour des acteurs de la danse contemporaine à Tunis –, il aurait pourtant aimé voir la pièce du Nouveau Ballet dans le grand théâtre de l’Opéra de la Cité de la culture. « Pour son poids symbolique ».
Danse de la ville, danse des régions
« Pour créer un public pour la danse contemporaine, il faut proposer des choses dans les régions. Il faut aller à la rencontre des gens au plus près de leur lieu de vie », affirme Selim Ben Safia. Davantage encore qu’à la belle énergie de la jeune troupe, qu’à la chorégraphie toute en heurts et sursauts qui tend à dire l’état actuel de la jeunesse engagée en 2011 dans la révolution, c’est donc à la démarche de décentralisation à l’origine du Nouveau Ballet qu’est sensible Selim Ben Safia. D’autant qu’il a lui-même créé en 2014 un événement basé sur ce principe. Le festival Hors-Lits Tunisie, qui, selon un concept de performance artistique chez l’habitant créé à Montpellier en 2005 par la compagnie La Mentira, sillonne les différents gouvernorats de Tunisie. Avec l’espoir, tout sauf irréaliste au vu de l’enthousiasme et de la détermination de Selim Ben Safia, d’avoir d’ici à 2023 tourné dans chacun d’entre eux avec trois performances artistiques. L’une proposée par un artiste local, choisi par des jeunes formés en amont au management culturel par Selim et les deux autres membres de son association Al-Badil. Les deux autres sont sélectionnés par cette dernière, parmi des artistes tunisiens et étrangers animés par le même désir de partager l’art autrement.
Cette initiative privée – afin de garder son indépendance, Selim Ben Safia a fait le choix de se passer de tout argent public pour son festival – n’est pas la seule à faire entrer la danse dans les espaces quotidiens. À « démocratiser la culture et en faire un acteur de développement économique », lit-on dans le dossier de présentation de Hors-Lits Tunisie. Dans plusieurs des régions traversées par ce festival, de jeunes artistes ont en effet créé leurs propres événements. Ou ont développé des structures, des festivals déjà existants. Dans la ville de Meknassy, par exemple, sise dans le gouvernorat de Sidi Bouzid où a éclos la révolution de 2011, le festival de cinéma CineRyf s’est agrandi en proposant davantage de rencontres. Et à Testour, dans le gouvernorat de Béja, est né le premier centre culturel privé qui organise des ateliers artistiques pour les enfants…
Par Heluin Anaïs, à Carthage ( Tunisie )
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